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La diable s'habille en Vermeil
Le diable s'habille en Vermeil
Hey ! Voici une nouvelle qui s'inspire de mon vécu en temps qu'enfant d'alcoolique, alors, enjoie !
Le diable s’habille en Vermeil
Jeudi 13 avril 2028, il est 14 heures, le soleil éclaire les herbes hautes et le jardin en friche d’où quelques laitues et choux blancs émergent aléatoirement. Un pêle-mêle de feuille et de fleur s’échappe d’une serre entrouverte, là où quelques tuteurs à tomates reflètent la lumière du jour. Un tout petit peu plus loin se dessine une maison. Elle avait dû être belle, mais sa façade a besoin d’un rafraîchissement, de même sa terrasse d’un bon coup de balais. Une véranda dans laquelle siègent de nombreuses plantes grasses vient illuminer la salle à manger, où le tapis d’un chien rayé bleu et marron demeure, sa surface empreinte d’une légère couche de poussière. Les rayons du soleil vont jusqu’à chauffer les deux fauteuils en cuir du salon, mais s’arrêtent là. Dans un grand canapé qui longe tout le pan d’un mur du salon, un homme d’une cinquantaine d’année est avachi.
Vêtu d’un vieux jean et d’un t-shirt d’entreprise gris, il transpire silencieusement. Son visage est rouge, voire violacé par endroit, et ses yeux perdus dans le vague, fixant l’image flou d’un quelconque reportage à la télévision. Il claque souvent sa langue sur son palais, en quête d’eau ou comme s’il savoure quelque chose. Pensivement, il frotte sa joue mal rasée et se saisit de la télécommande, s’apprêtant à zapper sans réel but les différentes chaînes.
Mais elle ne répond pas. Les oiseaux volent dans le ciel, il le voit à travers la baie vitrée, le soleil est toujours là, la table du salon aussi, alors pourquoi ne peut-il pas changer de chaîne ?
Ah oui, ça doit être les piles.
S’aidant de l’accoudoir, il se met debout, étirant son dos douloureux d’être resté trop longtemps assit, et marche en vacillant quelque peu jusqu’à la cuisine, où une réserve de piles dans le tiroir l’attend, celui en dessous de l’autre qui contient les couverts.
Il fouille un long moment, de contentant de pousser les autres objets sur le côté afin de trouver le fameux graal. Au bout d’un moment, il doit abandonner. Les piles sont de ces choses que l’on achète une fois, puis que l’on croit disponible l’éternité. Sauf qu’un jour on en a plus. Alors, comme toutes les personnes qui n’ont plus de piles, le vieil homme s’en va quérir celles des vieux appareils électro ménagers. A nouveau, il fait chou blanc. Chaînes hi-fi et autres horloges ont déjà été vidées de leur cœur.
Agacé par sa quête, et parce qu’il sait qu’un nouveau reportage sur les pompiers de Paris va commencer sur une autre chaîne, il se décide à fouiller les chambres, dont la décoration est dépassée depuis plusieurs années, de fond en comble. Il déverrouille la porte du couloir et prend la première porte à sa gauche. C’est celle de sa fille, qui est partie il y a six ans de cela. Il ignore les effluves de nostalgie qui se portèrent jusqu’à ses yeux et avance doucement, fait fit des oursons en peluches sur la bibliothèque encore pleine, de la guitare laissée à l’abandon, totalement désaccordée, du vieux tube de rouge à lèvre ouvert sur la commode, sec. Il n’y a presque plus de vêtements dans la penderie, mais la bouteille à côté de lit est encore à demi-pleine. Il a l’impression qu’elle n’est partie que 6 mois plus tôt, n’en témoignent les couches de poussière et l’odeur de renfermé. Sans plus vraiment penser aux piles, il ouvre distraitement la commode de sa table de chevet, se sentant presque coupable de fouiller dans les affaires de sa fille. Il soupire et se laisse tomber sur le lit, observant avec émotion la petite bibliothèque à roulette qu’il lui avait fait pour ses 18 ans avec les vieux restes de son armoire. Un éclat doré attire son attention. C’est le petit carnet sur lequel elle écrivait souvent, assise sur la terrasse. Il ressemble à une brique d’or. Il le prend avec précaution, étonné qu’elle ne l’ai pas emporté avec elle lorsqu’elle avait quitté la maison. Elle n’avait jamais voulu dire ce qu’elle écrivait à l’intérieur, restant vague.
« Des paysages » disait-elle, le sommant ensuite de la laisser en paix.
Ah, il reconnait son écriture. Ses petites pattes de mouches. Les premiers écrits concernent surtout des descriptions de paysage, parfois quelques ébauches de scénarii. Ils sont tous datés, il peut reconnaître là la rigueur de sa chair. Il parcourt les pages distraitement, s’arrête à certains endroits sans raison, mais plus il avance, plus l’écriture change. Le carnet prend une dimension intime, elle y couche ses pensées. Elle devient sombre, morose. Comme lui. Tout cet endroit appelle sa présence, le livre ouvert sur le bureau, sa boîte de médicament entamée, le malheureux cactus desséché, son père. Puis brusquement, l’écriture s’arrête un jour de juillet 2022. Ce jour, il s’en souvient mal.
Il doit être légèrement incommodé par la poussière, se dit-il, aussi il sort de la chambre sans même chercher d’éventuelles piles. Dos à la porte, il tombe directement sur son reflet. Celui-ci lui renvoi l’image d’un homme fatigué, tanguant un peu, le dos courbé, le regard flou. Il avait soif, à nouveau.
De son pas lent il reprend place sur le canapé, fixant à nouveau l’émission. De toute façon il ne peut plus changer. Il attrape inconsciemment son téléphone et cherche le numéro dans les contacts.
Une grande bouffée d’air plus tard, le portable est à son oreille, et il attend, à bout de souffle, durant des secondes qui lui paraissent durer des heures.
Puis, aussi soudainement qu’un courant d’air chaud dans une mer gelée, une voix tremblotante :
« Allô, Papa ? »
Voilà. Ici j'ai simplement imaginé la vie de mon père si nous l'avions abandonné, comment il aurait pu me recontacter...
Tags : alcool, alcoolisme, maladie, vaurienne
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